Le mégalithisme constitue un phénomène largement répandu dans le monde entier, au travers des âges. Dolmens et menhirs furent assemblés ou érigés, indépendamment et à des époques différentes, de la Colombie jusqu’en Corée. Certains étaient même encore édifiés il y a moins d’une cinquantaine d’années à Madagascar, en Indonésie ou en Inde. Le continent africain est loin d’être étranger à de tels phénomènes comme l’ont montré les travaux effectués par G. Camps dans le Maghreb et depuis une trentaine d’années par R. Joussaume sur la corne de l’Afrique, notamment en Ethiopie, ou beaucoup plus récemment par E. Zangato en Afrique centrale. F. Paris a même démontré pour de tels monuments du Niger, une antiquité pratiquement aussi ancienne que pour ceux mieux connus de l’Europe atlantique, deux mille ans avant la construction des premières pyramides d’Egypte.
Les monuments mégalithiques du Sénégal et de Gambie ne sont pas aussi anciens. Près de 30 000 pierres dressées occupent une zone qui correspond au centre et à l’ouest du Sénégal et qui se prolonge jusqu’en Gambie. Leur caractère commun tient ici à l'existence d'un ou de plusieurs monolithes situés à l'est du monument funéraire, lui-même de forme circulaire. Les monolithes, ont été taillés dans la cuirasse latéritique et transportés parfois sur des kilomètres jusque sur les sites d'inhumation. Le mobilier recueilli dans les tombes permet d’attribuer cette architecture à la période protohistorique.
Le mégalithisme sénégambien n’est que l’une des formes de monuments funéraires construits au Sénégal pendant la Protohistoire. Comme de nombreuses expressions consacrées en archéologie, la protohistoire est concept emprunté à la chronologie européenne où il sert à designer les civilisations sans écritures. Pour un pays comme le Sénégal les vestiges communément attribués à la protohistoire ne s'inscrivent pas tous dans la perspective annoncée. C'est pourquoi, même si nous continuons à utiliser le terme Protohistoire, ici confondu avec la période des métaux, il faut toujours garder présent à l'esprit qu'il s'agit d'une convention, certes commode, mais pas toujours pertinente. Dans l'état actuel de nos connaissances, cette période débute au Sénégal aux environs du premier siècle de notre ère, mais il est difficile de lui trouver une limite supérieure en raison des chevauchements chronologiques entre les données archéologiques et celles issues de l'histoire traditionnelle.
Les tumulus sont des accumulations de terre, plus ou moins élevées, qui indiquent des tombes.
Ceux de petites envergures sont associés aux traditions funéraires Sereer et désignés sous le nom de lomb; leur édification ou leur vénération n’a pas encore totalement disparue. L'autre catégorie de tumulus est désignée sous le nom de mbanaar par les Wolof et de podom par les Sereer qui les attribuent aux Sose qui les auraient précédés dans la région. Les fouilles les plus importantes ont été effectuées par Joire et Duchemin, entre 1941 et 1942. Elles ont porté sur 21 monuments dont 12 à Ngigeela et 9 à Massar, à près de 20 km au sud de Saint-Louis. Elles ont permis la mise au jour d'un mobilier particulièrement impressionnant. C'est ainsi que furent découverts un anneau et un collier en argent, 38 petits anneaux, un pendentif et une plaque en or d'un poids de 191 g ; le fameux pectoral, joyau des collections archéologiques de l'IFAN Ch. A. Diop Le tout accompagnait un personnage apparemment jeune, dont seuls les restes fragmentaires ont été retrouvés. Les tumulus fouillés très récemment dans le même secteur de Rao appartiennent tous à la première moitié du premier millénaire, et peut être même avant pour certains.
Les amas sont des accumulations artificielles de coquillages, près du littoral atlantique parmi lesquels: Arca senilis, Gryphea gasar et Donax rugosus. Les tumulus coquilliers sont des monuments funéraires édifiés sur les amas de coquillages. À côté de ces accumulations artificielles, il y a des accumulations naturelles de coquillages qui sont plutôt associées aux fluctuations du niveau de la mer et à des phénomènes bioclimatiques. De plus, tous les amas anthropiques ne sont pas d'âge protohistorique, car certains remontent au néolithique dans le delta du fleuve Sénégal, près de Kayar et tout le long de la Grande cote de Dakar a Saint-Louis. Les amas d'âge protohistorique sont localisés aussi bien dans les deltas du Salum, de la Gambie que dans la région du delta du Sénégal. Les travaux de Thilmans et al. dans le delta du Salum ont fourni des dates cohérentes allant du IVe siècle av. J.C., au IVe siècle ap. J.C., L'érection des tumulus, beaucoup plus tardive, débuterait seulement au IVe siècle pour
se poursuivre jusqu'au XVIe siècle. Plus au sud, dans le delta du fleuve Casamance, la fouille de huit amas coquilliers à Niamun et Samatit atteste une occupation humaine du IIe siècle avant J. C. au XVIIIe après J. C.
Le mégalithisme du Sénégal et de Gambie se présente exclusivement sous la forme de pierres dressées. On n’y connaît pas de véritable dolmen comme cela peut-être le cas en Ethiopie, en
Centrafrique ou en Algérie par exemple. Il s’agit ici de blocs de latérite, de section cylindrique à trapézoïdale et soigneusement façonnés, extraits de carrières à ciel ouvert. Certains portent un décor en forme de disque ou de bouton en relief. D’autres présentent une cupule sommitale. Ils peuvent être disposés isolément, alignés sur une ou plusieurs rangées, voire dressés sur la périphérie d’un seul ou de deux cercles concentriques. Les blocs alignés marquent souvent l’emplacement plus à l’ouest d’un monument circulaire adjacent, mégalithique ou non. C’est aussi le cas de certains blocs dressés isolément. Parmi les blocs alignés ou disposés isolément, quelques-uns ont été façonnés avec deux branches verticales issues d’un même fût (pierres lyres). Elles ne présentent guère d’équivalent sur ce continent. C’est cette originalité qui a motivé le classement de quatre sites mégalithiques du Sénégal et de Gambie au titre de Patrimoine Mondial de l’Humanité par l’UNESCO.
L’aire de répartition de ces différents monuments s’étend sur 250 km d’est en ouest, pour 120 à 150 km du nord au sud. Elle est grossièrement limitée au nord par la vallée du Saloum, et au sud par celle du fleuve Gambie. Vers l’ouest, cette aire de répartition ne dépasse guère la vallée du Bao-Bôlon, précédant les plaines littorales de la petite côte. Vers l’est, elle s’arrête au pied des collines séparant ce vaste plateau de la vallée du Falémé, affluent du fleuve Sénégal. Selon l’inventaire effectué par V. Martin et C. Becker, actualisé par la Direction du Patrimoine Culturel du Sénégal, cette zone comporte 16 790 monuments, mégalithiques ou non, répartis sur 1965 sites. En près d’un siècle, entre 1891 et 1982, 60 monuments seulement répartis sur 34 sites mégalithiques ont fait l’objet de fouilles, le plus souvent de manière assez expéditive. 43 d’entre eux au moins ont livré des restes humains. La grande majorité des monuments fouillés (49/60) correspondent à des cercles mégalithiques, alors que plus d’un millier de monuments de cetype (1045) ont été répertoriés. Une documentation détaillée n’a été publiée à ce jour que pour neuf d’entre eux.
G. Thilmans distinguait quatre types de monuments circulaires. Il s’agit des tumulus à structure frontale, des tumulus pierriers, des cercles pierriers et des cercles mégalithiques. Les tumulus pierriers correspondent à une faible éminence dépassant du sol actuel et recouverte par une carapace sommitale de blocs ou de gravillons latéritiques. Parfois, cette dernière se réduit à une enceinte circulaire de blocs dépassant légèrement de la surface du sol. Le terme de cercle pierrier a alors été proposé. Les cercles mégalithiques sont constitués d’une ou plus rarement deux enceintes circulaires de monolithes délimitant un espace interne plat ou bombé, recouvert ou non de blocs latéritiques. Leur répartition présente deux concentrations très nettes, l’une située à l’ouest dans le bassin médian du Bao-Bôlon, l’autre située au centre de la zone mégalithique, dans le bassin du Nianija –Bôlon et celui de son affluent le Kountouata.
De tous les sites protohistoriques les mégalithes sont ceux qui ont fait l'objet du plus grand nombre de recherches, ce qui a permis de constater une grande variabilité dans les pratiques funéraires. Des sites comme Siin-Ngayeen se caractérisent par un nombre particulièrement élevé d'inhumations, la pratique des mutilations dentaires et la présence d'un abondant mobilier dont des armes en fer 4 et des bracelets en métal cuivreux. La poterie de cette zone présente des caractéristiques que l'on retrouve sur les amas coquilliers, notamment à Joron-Bumak. Dans d'autres secteurs par contre, comme à Cekeen-Busura ou à Kojam vers le centre de la zone mégalithique, nous constatons un nombre réduit d'inhumations et l'absence de mobilier funéraire, mais la présence de mutilations dentaires. La céramique en rapport avec les monuments fouillés est généralement caractérisée par une forme typique dite carénée. Les habitats qui devraient leur être associés n'ont encore fait l'objet d'aucune fouille archéologique. C'est pourquoi de nombreuses recherches sont encore nécessaires pour comprendre les mégalithes du Sénégal qui n'ont pas encore livré tous leurs secrets.